
Ce que transporte le navire en route pour Gaza, ce n'est évidemment pas de l'aide humanitaire (une goutte d'eau dans l'océan des besoins de la population) mais un chargement symbolique.
Ce qu'il transporte, c'est Greta Thunberg et 11 autres activistes plus ou moins connus, leur message et leur lutte, qui sont toutes et tous rompu‧es à l'art du combat pour la justice. Iels savent très bien (et mieux que quiconque, Greta ayant tout de même passé un sacré bout de temps de sa jeune existence en garde à vue et dans les tribunaux), à quel point c'est un défi dangereux qui doit plonger Nethanyaou et ses sbires dans la plus grande confusion. Mais, connaissant ces derniers, et l'impunité totale dont ils disposent jusqu'à présent, le pire est possible. Ce navire serait conduit par un équipage d'arabes militants "anonymes" (ou du moins peu connus en Europe), les militaires n'hésiteraient pas un seul instant (ils l'ont déjà fait) : ils trucideraient tout le monde. Il n'empêche, Greta et ses ami‧es prennent un risque réel.
Bien sûr, c'est ajouter à la tragédie palestinienne un autre narratif, destiné aux européens - en espérant que ce narratif, ce drame à venir, produise un bouleversement majeur chez les soutiens de Nethanyaou (à l'intérieur comme à l'extérieur d'Israël).
Il y a quelque chose d'indécent à penser que s'en prendre à cet équipage "européen" aurait plus de poids que le récit quotidien des horreurs dont l'armée israélienne se rend coupable depuis un an et demi. Il y a cette supposition terrifiante qu'une martyre blanche fasse plus d'effet que des dizaines et des dizaines de milliers d'enfants, de femmes et d'hommes assassinés, sans parler des centaines de milliers d'estropiés, d'affamés, de villes et de villages rasés de la surface de la terre.
Oui, ce récit qui se construit avec le voyage de ce navire relève du drame (pour le moment) alors que des millions de gens sont plongés dans la tragédie (la différence entre le drame et la tragédie porte sur ceci que du récit tragique on connaît déjà la fin : ici, l'inéluctable exil des palestinien‧nes qui auront survécu à cet enfer, après la destruction totale du territoire).
Mais on en est là.
Je ne sais pas jusqu'où Greta et ses ami‧es sont prêt‧es à aller. Je ne sais pas jusqu'où Nethanyaou et ses sbires sont prêts (noter le masculin ici) à aller.
Ce que je sais par contre, c'est à quel point il est abominable d'en être arrivé là.
(et je pense, comme toujours, à d'autres populations dont tout le monde se fout, les Ouïghours, les Rohingyas, les Kashmiris, et bien d'autres... elles aussi victimes de crimes massifs sans que les européens s'en soient jamais émus (exceptés quelques-un‧es) - et je pense aussi, puisque j'évoquais les "estropiés" de Gaza (comme ceux de toutes les guerres), au livre de Jasbir Puar, The Right to Maim: Debility, Capacity, Disability, Duke University Press, qu'elle a publié en 2017, et qui consacre un long chapitre à la stratégie délibérée de l'armée israélienne qui consiste à mutiler la population, au sens littérale du terme, de manière à la rendre non seulement incapable de se défendre, mais aussi d'affaiblir ses ressources pour se relever, et développer l'économie de la région. Elle écrivait cela en 2017 donc.)